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L’Arbre de la Culture de Confiance

Inspiré d’une métaphore biologique, l’Arbre de la Culture est une clé de compréhension courante des leviers du changement au sein des organisations. Feuillage, tronc et racines sont interdépendants. Mais comment faire de cette interdépendance un facteur de haute performance dans les organisations humaines qui, à la différence des arbres, ont une tendance constante à l’éparpillement des énergies ? C’est ici que la confiance en action joue un rôle déterminant, dont le leadership responsable des dirigeants est la source intarissable.

  1. Si les racines constituent la partie invisible, ce sont elles qui nourrissent de sève primaire le tronc et le feuillage, garantissant leur vitalité et leur régénération : ce sont les perceptions, les croyances et les valeurs, fondées sur la raison d’être de l’entreprise, sur l’intention partagée de ses fondateurs et sur l’expérience accumulée par l’ensemble de ses collaborateurs, à la croisée entre le métier et l’histoire des relations avec l’extérieur. Nous savons que les racines d’un arbre constituent un réseau capillaire au moins aussi étendu et ramifié que son feuillage. Il en va de même pour les racines de l’entreprise, qui constituent sa matrice culturelle. Il est important que ces racines constituent un réseau abondant d’histoires vécues, où les tous les membres de l’entreprise puisent leur énergie et leur désir d’accomplissement. Dans cette matrice culturelle de l’entreprise sont non seulement inscrits sa raison d’être et sa mission originelles, mais aussi le code d’orientation de sa responsabilité: responsabilité « égo-centrée 3P » comme Produit, Process, Périmètre ou bien responsabilité « éco-centrée 6C » comme Client, Collègue, Collaborateur, Co-traitant, Citoyen, Collectivité. Alors que les changements de paradigmes de la révolution numérique et écologique en cours s’accélèrent du fait d’une crise sanitaire aux impacts incommensurables et exigent, pour s’adapter à cette métamorphose, de conduire une évolution culturelle, le travail des dirigeants se doit donc d’être radical, c’est à dire, étymologiquement, conduit à partir des racines. Explorer l’histoire de l’entreprise pour mettre à jour son utilité première, réviser les croyances, réorienter les valeurs sont des actions qui favorisent la régénération. Ce travail souterrain ne saurait s’éteindre. Notons que dans un monde complexe où tout se mêle et se relie, les engagements personnels, professionnels et publics, la concurrence et la compétition – la fameuse « coopétition » bien connue en normalisation internationale -, l’activité racinaire des entreprises évolue toujours plus vers le rhizome et sa puissance de propagation impressionnante.

2. Le tronc s’élance vers le feuillage, qu’il sous-tend, dont il réunit toutes les branches et qu’il relie aux racines. Dans l’entreprise, c’est le corps des attitudes partagées qui fait sa force et sa personnalité, comme par exemple une empathie inimitable envers les clients, les co-traitants ou les partenaires, ou bien la reconnaissance en toutes circonstances de la valeur d’autrui en tant que personne, quels que soient son statut, sa formation, son niveau dans l’organisation – une manière 100 % responsable de compenser le déséquilibre induit par la différence hiérarchique dans la relation managers / collaborateurs – , ou encore le choix de la remise en question systématique et sans jugement après chaque action, chaque interaction, chaque projet.

3. Le feuillage correspond à la partie la plus visible de la culture: ce sont les actions, les comportements, les interactions, qui nourrissent l’entreprise comme la lumière nourrit l’arbre, générant sa sève élaborée, celle qui descend de l’extérieur vers l’intérieur, par photosynthèse.  L’entreprise qui joue la carte de la Totale Confiance a compris à quel point l’écoute active des parties constituantes de son écosystème, la pratique du feedback et du débriefing responsables irriguent depuis l’extérieur la structure vivante interne de l’entreprise et participent à sa régénération. De ce fait le feedback et le débriefing responsables sont les traductions au niveau du feuillage de la conception de responsabilité éco-centrée située dans les racines et de l’attitude de remise en question systématique portée par le tronc. Je n’ai pas trouvé mieux pour traduire ce mouvement vital que l’expression picarde de mon vieil ami Jean-François ZOBRIST: « Faire entrer le dehors dedans ».

Cependant, la seule métaphore de l’arbre ne suffit pas en soi à traduire le processus de vitalité et de régénération des entreprises. En effet, si toutes les parties de l’arbre sont physiquement et chimiquement reliées, les organisations humaines, sous l’effet de la distance qu’instaurent le langage, les statuts, le découpage abstrait du temps et de l’espace, sont constamment sujettes au risque de rupture, de contradiction et de blocage de la circulation du sens. Combien de directions se coupent de la lumière extérieure et fonctionnent avec des présupposés, par écrans et tableaux Excel interposés ? Combien d’entités opérationnelles « se débrouillent », faisant le tri dans des demandes et injonctions discontinues, voire contradictoires venues d’émetteurs multiples cachés derrière des sigles plus ou moins compréhensibles ?

Dans un tel contexte, tout comme traiter les feuilles de l’arbre ne suffit pas à garantir son développement, chercher à adapter les entreprises aux évolutions de leurs écosystèmes à travers une simple action sur les comportements est une approche pavlovienne dont les résultats sont pauvres, tant apprivoiser l’être humain conduit à réduire ses capacités d’ouverture et d’initiative. Pour encourager les attitudes ouvertes aux adaptations (amélioration et innovation) et favoriser une évolution naturelle des comportements, mieux vaut permettre à chaque personne de l’entreprise d’élargir et de nourrir sa perception dans les interactions confiantes avec son environnement interne et externe, à l’image du développement capillaire des racines de l’arbre qui permet au tronc de se renforcer et au feuillage de s’épanouir. Riche de ces interactions, cette personne saura quel comportement adopter en diverses circonstances, en accordant ses valeurs à celles de l’organisation, en tirant parti de son intelligence et en apportant le meilleur de son énergie. 

D’où l’importance du principe de circulation du sens, des racines profondes du temps vers la surface des comportements et des interactions dans les espaces réels et virtuels vers l’ensemble des capillarités internes. Ce principe de circulation du sens qui fait liaison entre la culture, les attitudes et les comportements, c’est la confiance. La confiance – du latin « cum-fidere », avoir foi ensemble – est un pari constant sur l’autre et SUR l’action à venir qui mobilise ensemble les valeurs de responsabilité éco-centrée et d’entrepreneuriat, leur donne consistance dans des attitudes, au premier rang desquelles figurent l’empathie, la remise en question et l’innovation. La confiance favorise les comportements co-créateurs de valeur avec les clients et partenaires à travers l’écoute active, le partage avec toutes les fonctions de l’entreprise (stratégie, finance et investissement, recherche et développement, production, digital, marketing et commerce…), la rétroaction, l’apprentissage et l’innovation permanents.

En permettant une évolution constante des perceptions de l’entreprise vis-à-vis de son écosystème, la CONFIANCE EN ACTION est essentielle pour faire évoluer avec leur temps les valeurs et croyances qui soutiennent la raison d’être et la structure de sens de l’entreprise. Avoir confiance ne suffit pas, il faut se donner les moyens de FAIRE confiance à autrui dans l’action quotidienne, pour adapter collectivement les comportements en fonction des nouveaux besoins et désirs des clients, des collègues, des collaborateurs et tirer parti, sans trahir l’humain, des techniques et technologies à disposition.  

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK

Confiance en action et accomplissement de la Raison d’être

Une tendance récente conduit les entreprises ou les institutions à afficher leur « Raison d’être ». Ce mouvement participe, d’une part, à combler le vide de sens perçu par les habitants des sociétés démocratiques contemporaines – clients, consommateurs, citoyens -, d’autre part, à inciter les entreprises à équilibrer leurs objectifs de performance entre les dimensions financière, humaine, sociétale et environnementale au service d’une contribution qui les transcende. La poursuite de la raison d’être peut conduire les organisations à redéfinir leur objet social et à accéder au statut d’« Entreprise à mission »*.

Notre ami André COUPET rappelle dans son excellent ouvrage « Vers une entreprise progressiste » (Editions Paris-Québec Inc., 2020) que cette démarche conduit simplement à se poser la question : « A quoi sert notre entreprise ? », pour ses clients et pour le monde.

La raison d’être renoue en cela avec le FONDEMENT BIOLOGIQUE de toute organisation, tel que posé par le Pr. Claude ZARROUK dès les années 1980 : son UTILITE, avec un grand « U », en tant que contribution créatrice de valeur pour ses clients, ses collaborateurs, ses partenaires, ses actionnaires et la société. Souvenons-nous à cet égard de la loi implacable du vivant : tout acteur, végétal, animal, humain, a son utilité dans l’écosystème auquel il appartient, faute de quoi il est appelé à disparaître. D’un point de vue biologique, la question de la raison d’être ne se pose donc ni pour les individus, de l’insecte à l’homme en passant par la plante, ni pour les organisations, de la fourmilière à l’entreprise en passant par la forêt : ON EST UTILE OU ON N’EST PAS. Précisons qu’on est utile y compris à son corps défendant, au service d’exigences qui souvent nous dépassent, comme la survie de l’espèce ou l’équilibre d’un écosystème. Et que cette utilité, dans le monde humain, peut être discrète et prendre des formes très diverses: affective, sociale, tout autant que productive. Il est indispensable de le rappeler, comme l’a fait à sa manière notre regretté ami Bernard STIEGLER en développant le concept d’économie contributive.

Pour l’ENTREPRISE, dont la fonction première, en tant que collectivité humaine et organisme vivant, est l’utilité, formuler sa raison d’être, c’est donc REFONDER LE SENS DE SON EXISTENCE, en donnant forme intelligible à ce qui est déjà là et qui la dépasse finalement, elle et son objet social, que la raison d’être y soit inscrite ou pas, bien au-delà de la quête d’« un supplément d’âme » par temps de disette spirituelle.

La vraie question pour les dirigeants LEADERS DE CONFIANCE est à notre avis, par les temps de métamorphose de l’Etre au monde que traversent les humains sous le triple effet de la transformation numérique, de la transition écologique et de la nouvelle conscience sanitaire, non pas tant la rédaction et l’affichage d’une raison d’être, que celle de sa traduction en Action, plus ou moins fidèle, affirmée et créatrice de valeur au cœur du monde réel.

En effet, en affirmant sa raison d’être, l’entreprise interpelle le public. Certaines le font discrètement et on comprend pourquoi : dès lors que la firme affirme ainsi sa transcendance, le public est conduit à se demander s’il peut lui FAIRE CONFIANCE, comme à l’égard d’une religion ou d’un parti politique (on voit bien le risque pour l’entreprise, dans une époque où la vérification permanente, suivie d’un partage en temps réel via les réseaux sociaux, est devenue une pratique généralisée). Ainsi, les clients, collaborateurs ou co-traitants, mais aussi et surtout les citoyens, sont en droit de se poser la question suivante à l’égard de toute organisation qui affiche sa raison d’être: QUELLES PRATIQUES les dirigeants et leurs équipes ont-ils alors mises en place pour TRADUIRE LA RAISON D’ÊTRE DE LEUR ENTREPRISE EN ACTION TANGIBLE ? EST-CE QUE JE PEUX COMPTER sur les personnes qui la composent – dirigeants et ensemble des collaborateurs – pour faire en sorte que cette raison d’être, en tant qu’utilité créatrice de valeur, soit incarnée dans mes interactions avec toutes personnes ou équipes de cette organisation, et aussi dans leurs interactions avec le territoire (local, national, mondial) où je vis, cette Terre qu’après tout, je partage avec eux… ? Et par conséquent, qu’est-ce qui fait, dans la manière d’agir de ceux qui la portent et la vivent, que cette raison d’être aura un impact bénéfique vérifiable dans les externalités positives de l’entreprise envers la Société comme, en miroir, dans ses résultats opérationnels, humains et, in fine, économiques et financiers? Car il est permis, après tout, d’espérer qu’une entreprise qui accomplit pleinement sa raison d’être connaisse la prospérité, ayant toute sa place dans le monde.

Il faut bien reconnaître que la réponse à cette question reste opaque dans la majorité des cas. L’intention profonde et la volonté intime qui guident les initiateurs de ces démarches restent largement inaccessibles. Y accéder exige une approche au cas par cas, que seules les entreprises conscientes de leur responsabilité ECO-centrée peuvent initier par la mise œuvre d’un processus de FEEDBACK (écoute active et rétroaction) interne et externe responsable et régulier, qui est la condition de la génération de confiance. Car formuler et promulguer une raison d’être, c’est de facto revendiquer un lien de confiance actif et responsable avec les parties constituantes de son écosystème et accepter de bon cœur une certaine interdépendance, y compris dans la gouvernance.

Pour se donner toutes les chances d’engager une démarche sincère, crédible et profitable à tous, les leaders de confiance qui décident de mettre à jour la raison d’être de leur entreprise ont tout à gagner à réfléchir à la qualité du dialogue interne et externe qui permettra de la révéler, la formuler et la partager. Cette réflexion intime, puis collective, est à mener avant de se plonger dans les référentiels et principes méthodologiques qui visent à objectiver, voire quantifier, la raison d’être et les objectifs des entreprises à mission. Quelques questions simples peuvent guider cette réflexion pour l’action : Les personnes de tous niveaux qui INCARNENT, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise et dans toutes ses interactions, cette raison d’être au quotidien sont-elles RECONNUES comme principales contributrices au sein de l’entreprise ? Concernés au premier chef  par l’Utilité de l’entreprise, les clients, les citoyens et les partenaires externes sont-ils ECOUTES ET ENTENDUS sans filtre, de manière active et participante ? Diverses parties constituantes de l’écosystème sont-elles ASSOCIEES à l’élaboration de la formulation de la Raison d’Etre, de la mission de l’entreprise et des engagements qui en découlent ? Disposent-elles pleinement de la possibilité d’exprimer leur FEEDBACK FACTUEL, CRITIQUE ET CONSTRUCTIF auprès du management en cas de manquement à cette raison d’être ? Mieux, l’entreprise va-t-elle à la rencontre de ce feedback pour progresser, innover et incarner sa raison d’être de manière adaptée aux besoins profonds de la société – et non à des attentes présupposées?

Se poser ces questions et y répondre par l’interaction, permet d’enraciner la Raison d’être dans le tissu vivant de l’entreprise tout en l’éclairant par le dialogue avec les parties constituantes de son écosystème. Elle permet également d’affirmer une raison d’être originale, légitime et génératrice d’enthousiasme, car balisée par une écoute et des rétroactions véritables, et non de produire une phrase sibylline ou un pensum sans saveur censé ne fâcher personne, ce qui trahit souvent le fruit d’une rédaction « en chambre ».

En faisant en sorte que la formulation de la Raison d’être soit le résultat d’un processus vivant et ouvert de FEEDBACK avec les parties constituantes de l’écosystème interne et externe de l’entreprise, ses dirigeants ont des chances de faire de cet exercice un générateur de confiance en action.

*En France, cette démarche est encouragée par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises).

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK