Archives pour la catégorie Feedback

Témoignage de Bernard ROCHE: « La confiance ne marche que si tout le monde s’attelle à respecter l’exigence de feedback constructif et va au bout du débriefing. »

Bernard ROCHE a mis en œuvre l’approche de Totale Confiance proposée par Claude ZARROUK lorsqu’il était directeur de la Division des Réseaux Nationaux de France Télécom, puis en tant que Directeur régional à Lyon. Il garde un souvenir très présent des particularités et des bénéfices de cette approche.

Nous l’avons interviewé le 23 juin 2021.

En 1997, quel avait été ton besoin ? Pour quelle raison as-tu fait appel à Claude ZARROUK ?

Avec les gains de productivité liés en particulier à la fibre optique et à la numérisation, la division que je dirigeais devait être restructurée. Alors que la Division comprenait une direction nationale, 5 directions régionales et des établissements répartis sur le territoire national, nous avions entrepris de regrouper des unités, et de supprimer ces directions régionales et de ne garder qu’une seule direction nationale. Cela représentait une nouvelle configuration pour l’ensemble des personnes et le passage d’un périmètre de 10000 à 4000 personnes environ. Par exemple, après la pose de fibre optique sur les grandes artères, 1000 personnes pouvaient être reconverties sur des réseaux locaux, mais encore fallait-il les accompagner. Nous avions décidé de procéder au reclassement et à la reconversion des personnes dans les meilleures conditions possibles pour elles et France Télécom.

Pour nous accompagner dans cette démarche, Christian a suggéré de faire appel à Claude ZARROUK, dont il avait suivi le séminaire à HEC/CRC. Dès la première rencontre, j’ai eu un bon ressenti et j’ai acquis la conviction que son approche aurait un réel impact. La présentation de Claude Zarrouk m’a semblé aller au fond des questions et sa personnalité m’a paru gage de réussite, en particulier pour que chacun se questionne véritablement, individuellement et en équipe. La démarche intellectuelle, la capacité à faire qu’on s’interroge, individuellement et en équipe. C’était réellement différent de démarches intellectuellement séduisantes mais qui restent en surface et après c’est le retour au « business as usual ».

L’approche m’a semblé pouvoir apporter un vrai changement, et cela a été le cas.

Il y avait une demande dans l’équipe. Mais au départ, cela a quand même été un peu décapant. Certains membres m’ont demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? ». Car quand Claude arrivait, cela surprenait ! (Rires)

Quels étaient tes objectifs ? Ont-ils été atteints ou pas ?

Les objectifs étaient la performance de l’équipe de Direction pour conduire les changements dans les Unités Opérationnelles et avec elles. De manière plus concrète, il fallait une coopération efficace entre les membres de l’équipe de Direction de la Division, que chacun perçoive sa mission comme membre de l’équipe (et non comme représentant de sa direction en « pseudo compétition » avec les autres). Il était nécessaire en particulier de bien positionner les rôles fonctionnel, opérationnel, support et développement.

L’approche de management par la confiance nous a permis de sortir par le haut du débat permanent entre Direction Technique et Directions Opérationnelles. Il y avait des positions non adaptées des deux côtés.

Je me souviens d’un séminaire à Cordes sur Ciel, où nous avons largement débattu. Chacun portait ses convictions, mais la méthode de feedback constructif obligeait à expliquer pourquoi on avait tel ou tel besoin (et pas à s’exprimer a priori en termes de solutions).

Nous abordions un vrai problème. Nous avons conduit le débat avec la méthode de feedback structuré et aussi, dès le départ, avec une perspective de bilan sur les engagements pris. La méthode est conçue de manière à faire prendre conscience très vite qu’à partir du moment où quelqu’un prend un engagement, il devra en rendre compte, car c’est le principe de base de la confiance. De plus, chaque engagement était légitimé parce qu’il était en relation directe avec la performance de la Division, ce qui est une autre exigence de la méthode.

Les résultats opérationnels et les objectifs stratégiques ont été atteints. Et au-delà, l’expérience de cette démarche ressentie par les membres de l’équipe (et moi-même) les a conduits à apporter un témoignage très positif pour la mettre en œuvre avec une autre équipe de direction.

Que retiens-tu de ton expérience du processus mis en œuvre ?

L’impact du choc des perceptions allié à la pratique structurée du feedback a conduit au développement de la confiance au sein de l’équipe, et par la même à une coopération efficace pour atteindre les objectifs stratégiques : Au-delà du « choc des perceptions » qui est un moment clé au début de la démarche, le feedback structuré dans la durée est un facteur de succès important. Tout jardinier sait qu’avant d’avoir un rosier et de belles roses, il faut commencer par bêcher. La démarche exige de porter l’effort dans la durée. Nous avons eu des débats intéressants autour du client. Il s’agissait de bien le positionner, à sa juste place mais pas d’en faire la finalité ultime. Bien des incompréhensions ont été levées.

Ensuite, quand j’ai initié la démarche à la Direction Régionale de Lyon, j’ai suggéré aux membres de mon équipe d ‘échanger avec ceux qui l’avaient suivie.

Qu’as-tu trouvé de différent, quelle valeur particulière as-tu apprécié, par rapport à d’autres approches et séminaires ?

C’est une démarche qui va au fond des comportements pour les faire évoluer. Et une démarche dans la durée qui donne de la valeur à l’engagement respecté, source de la confiance. J’ai pu comparer avec d’autres démarches séduisantes, mais qui n’avaient pas réellement un impact durable sur les comportements. Avec cette approche, on dépasse le stade intellectuel pour toucher les comportements.

Que t’a apporté personnellement cette démarche en tant que leader ?

Cela a été la voie pour réaliser un management efficace de mon équipe, par une réflexion propre sur mon management et par une pratique sans faux-semblant. La démarche a été aussi un puissant levier pour bien placer le client dans ma vision et ma pratique.

J’ai aussi appliqué les principes de la démarche par la suite en tant que consultant. Un jour, en réunion à la Région Rhône Alpes, un directeur m’a adressé une remarque « bien sentie ». J’ai écouté en me gardant bien de répondre dans l’instant. 15 jours après, je lui ai envoyé un papier en expliquant mes positions en détail, en tenant compte de sa réaction pour répondre précisément à ses interrogations, en  me plaçant autant que possible dans sa perception. Eh bien, il m’a remercié, et ensuite il m’a même recommandé ! Il était complètement surpris que j’aie pris en compte sa remarque et l’aie prolongée.

Notre rationalité à tous est limitée : chacun raisonne avec sa vision, a du mal à comprendre les objections ou réticences de l’autre. Cela me fait penser au « toujours plus », qui résulte d’un idéal de professionnalisme à l’extrême : « Il fallait plus de techniciens pour toujours approfondir mais sans s’interroger sur la valeur ajoutée apportée et perçue par le client». Les gens ont été formés comme çà, et chaque catégorie pousse dans son sillon. Dire qu’ils ont tort et n’ont rien compris, c’est de la paresse intellectuelle. Le comportement des autres est seulement la conséquence de leur perception des choses – si on ne travaille pas sur leur perception des choses et à les aider à élargir leur point de vue, on n’avance pas. Pour mener à bien une dialectique, il faut s’interroger sur le point de vue de l’autre. Ce n’est pas gratuit

As-tu perçu quelques limites à la démarche ?

J’ai eu quelques regrets après coup, pas du tout en lien avec ce que j’avais mis en œuvre au sein de la Division, mais parce qu’en tant que directeur d’une division au sein d’une plus grande structure, la démarche m’a conduit à un certain niveau d’exigence avec les autres. Elever le niveau d’exigence de feedback ne pose pas de problèmes avec les collaborateurs et collègues qui sont dans la même démarche. En revanche, avec certains autres, l’écart culturel peut se creuser et susciter parfois de l’impatience. Cela nécessite un doigté que je n’ai pas toujours eu.

A la direction régionale, pour des problèmes à traiter avec des directeurs d’agences, nous avons tenu à aller au bout des arguments factuels pour comprendre les besoins. Le résultat a été tel qu’après nous étions satisfaits. En revanche, lorsqu’un responsable d’une autre entité que tu souhaites considérer comme partenaire ne rentre pas dans une vision de partenariat, tu en conçois une frustration, avec le sentiment d’être passé à côté, parce qu’il n’y a pas eu l’échange qui aurait permis de valider des options ensemble. Pour certains managers, être partenaires, c’est du temps perdu : Vis à vis des certaines autres entités avec qui nous étions en relation, c’était plus difficile de faire bouger mes homologues, que leurs collaborateurs.

La confiance ne marche que si tout le monde s’attelle à respecter cette exigence de feedback constructif et va au bout du débriefing.

Ce témoignage de Bernard pose très clairement les exigences intellectuelles et pragmatiques de l’approche « Totale confiance » et la puissance de l’approche initiée par Claude ZARROUK, que nous sommes fiers de perpétuer, d’enrichir et d’adapter aux exigences d’aujourd’hui, en préservant ses fondements essentiels, plus que jamais actuels et sans doute éternels.

Christian Mayeur et Marc Zarrouk

© Mayeur Zarrouk Consulting

Totale confiance: confiance systémique, confiance stratégique

Confiance systémique

Est-ce un hasard si les zones à haute intensité d’innovation et de production de richesse sont aussi des zones de confiance systémique entre acteurs économiques, sociaux, politiques et culturels[1] ? Le nord de la Californie, Israël, le sud de l’Allemagne, la Finlande ou l’Estonie, pour citer les plus célèbres, sont des zones où les relations sont nourries de la discipline du feedback dans les interactions verticales (dialogue hiérarchique franc et direct), horizontales (coopérations conviviales, pragmatiques et créatives, marquées par des critiques réciproques sans concession) et latérales (haute intensité de co-innovation en toute fluidité avec les clients et les partenaires, également marquées par des critiques réciproques sans concession).

Innovation et performance globale de haut niveau exigent le développement de la confiance comme règle de vie à l’échelle de l’entreprise étendue à son écosystème, de telle manière que chaque interaction interne ou externe soit productrice de confiance, ce qui permet d’atteindre un niveau de confiance systémique.

Impact de la confiance systémique sur la confiance en soi et le développement personnel

La question de la « confiance en soi » est régulièrement posée, en raison du caractère déstabilisant, pour les individus, de la période de métamorphose que traversent les entreprises aujourd’hui. Ce phénomène concerne tous les membres de l’écosystème Entreprise, du patron au salarié en passant par les sous-traitants ou les travailleurs indépendants avec qui elle coopère. Le degré initial de confiance en soi des individus perd de son importance relative dans les entreprises écocentrées, cette confiance étant nourrie par la pratique systématique d’un dialogue équilibré, bienveillant et exigeant, et par l’action confiante qui en résulte[2]. Nous observons ainsi que la discipline du feedback constructif à l’échelle de toute l’entreprise entraîne de facto une augmentation du degré de confiance en soi de ses membres, portés par une vague collective de confiance en action.

Autrement dit, la confiance nourrit la confiance : l’action même de produire de la confiance dans chaque interaction nourrit la confiance des dirigeants, des managers et des collaborateurs, dans leurs interactions verticales (hiérarchiques) et horizontales (entre collègues).

Confiance stratégique

La confiance en action est indissociable d’attentes de comportements et de buts à atteindre. Elle est la réponse positive à une question que toute personne en situation d’agir, d’entreprendre ou d’innover pose à ses collaborateurs, partenaires ou clients, pour leur faire totalement confiance : « Est-ce que je peux compter sur toi ? ».

Cette question se décline en des sous-questions du type : « Puis-je compter sur chacune et chacun des membres de mon équipe de direction pour me donner un feedback franc, direct et précis sur la manière dont je réponds à ses besoins ? » ; « Puis-je compter sur ce partenaire pour mener un projet d’investissement commun ? » ; « Puis-je compter sur ce collègue pour apporter sa contribution dans le délai imparti par notre client commun ? » ; « Puis-je compter sur chaque collaborateur pour qu’il me dise clairement ce que j’ai oublié de prendre en compte dans ma décision ? ».

Naturellement, la question « Est-ce que je peux compter sur toi ? » a son pendant collectif, qui a trait à la dimension systémique de la confiance : « Est-ce que nous pouvons compter les uns sur les autres ? ».

Une entreprise où la réponse à ces questions (qu’elles s’adressent à l’individu ou au collectif) est systématiquement positive (à tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les secteurs) est généralement une entreprise en bonne santé, créatrice de valeur pour son écosystème comme pour elle-même.

Comment atteindre un tel résultat ? Un basculement culturel vers l’entreprise écocentrée est nécessaire, sauf si l’entreprise a été conçue dans cette culture[3]. C’est donc en premier lieu aux dirigeants qu’il revient d’agir, d’autant plus qu’il est courant que des blocages du feedback perturbent les dynamiques de décision stratégique situées au-delà du champ de l’intelligence artificielle et des méthodes « agiles », généralement centrées sur les niveaux opérationnels. Ce basculement prend sa source dans le leadership exemplaire des dirigeants, au prix d’une lutte constante et sans merci contre les blocages du feedback, appliquée d’abord à leurs propres interactions. Après avoir été levés et éliminés de manière définitive dans les instances dirigeantes, les obstacles à la fluidité et à la fécondité de la pensée humaine méritent d’être éliminés dans toutes les strates de l’entreprise étendue à son écosystème.

La production de confiance dans chaque interaction constitue alors une force qui pousse toute l’entreprise vers l’avant, en tension entre sa raison d’être et ses finalités, telles que : être utile à ses clients – aux clients de ses clients en B to B et aux clients citoyens lorsqu’elle assure des missions pour la collectivité -, libérer un flux constant d’améliorations et d’innovations, atteindre ses objectifs (financiers, opérationnels, de développement humain), renforcer son image.

Au-delà d’être systémique, la confiance en action revêt donc également un caractère stratégique.


[1] Nous regroupons les scientifiques, les artistes et les professions intellectuelles telles qu’architectes ou designers dans les acteurs culturels.

[2] Charles PEPIN apporte un éclairage intéressant sur ces points aux chapitres 6 et 7 de son essai sur la confiance en soi – Charles PEPIN : « La confiance en soi », Editions Allary, 2018.

[3] En ce cas, le défi non moins ambitieux est de préserver ce précieux capital de régénération infinie.

Christian MAYEUR

© Mayeur Zarrouk

Le Feedback, la puissance du TNT au service du Dialogue responsable

Donner son feedback, c’est d’abord préparer l’autre à le recevoir puis à en donner en retour. Nous avons observé que pour certains dirigeants il est difficile de s’engager dans la pratique du feedback, un engagement pourtant indispensable pour devenir un leader de confiance. Mais tout dirigeant a la possibilité de changer la perception de sa responsabilité à l’égard d’autrui et de créer les conditions pour un feedback de qualité, générateur de confiance et donc de prise d’initiative, de performance et d’innovation.  

En tant que dirigeant, pourquoi donner son feedback, mais surtout, pourquoi aller chercher le feedback ? C’est le job du dirigeant, sa première responsabilité de manager, car le feedback améliore le fonctionnement de ce qu’il y a de plus important pour lui : son équipe . La pratique du feedback régénère l’équipe de direction et l’organisation qu’il dirige et ouvre le CHEMINEMENT VERS LA CONFIANCE  EN ACTION, qui se crée et s’entretient dès lors que nous répondons aux besoins et aux désirs profonds de l’autre, au-delà de ses attentes présupposées. Cela passe par la pratique de l’écoute et de la rétroaction qui s’ensuit, un phénomène d’ordre biologique que nous résumons sous le terme « feedback« .

A ce sujet, notre diagnostic est clair : si dans une organisation on parle de confiance sans pratiquer le feedback, on passe à côté du sujet. En effet jouer la transparence, demander l’avis, etc., sans aller jusqu’à la pratique d’un feedback responsable, tout cela reste superficiel. Tout le défi pour les managers, à commencer par le dirigeant, tient au fait d’être capable de recevoir du feedback direct, précis, factuel et d’aider le collaborateur à formuler un feedback constructif, tendu vers l’avenir. Le principe du feedback est en effet de s’appuyer sur un langage commun pour développer une vision commune, en faisant le pont entre le passé (qui ramène invariablement, si on s’y cantonne, vers la culpabilisation) et l’avenir (qui tend vers l’action).

Le feedback est une pratique extrêmement puissante, à l’image de la dynamite !  Comme le TNT, il nécessite, pour donner son meilleur rendement, le respect de règles précises. Refuser les jugements au profit des faits (et apprendre à éviter les énoncés factuels qui sont des jugements déguisés), faire le choix du mouvement contre l’immobilisme, des problèmes qu’on résout au détriment des problèmes qui persistent, de l’enthousiasme contre la peur, de la confiance contre la simple satisfaction. 

Pour nourrir et soutenir cette démarche, le seul moyen est d’entretenir un dialogue responsable qui commence par la question :  Quel est le besoin de l’autre ?   

Sécuriser la mise en œuvre du feedback est l’objectif de la méthodologie 3T (Training To Trust) qui accompagne la mise en place de la pratique du FEEDBACK Constructif (vertical et horizontal) au sein de l’équipe dirigeante puis entre managers et équipiers.

Christian MAYEUR

© MAYEUR ZARROUK

Confiance en action et accomplissement de la Raison d’être

Une tendance récente conduit les entreprises ou les institutions à afficher leur « Raison d’être ». Ce mouvement participe, d’une part, à combler le vide de sens perçu par les habitants des sociétés démocratiques contemporaines – clients, consommateurs, citoyens -, d’autre part, à inciter les entreprises à équilibrer leurs objectifs de performance entre les dimensions financière, humaine, sociétale et environnementale au service d’une contribution qui les transcende. La poursuite de la raison d’être peut conduire les organisations à redéfinir leur objet social et à accéder au statut d’« Entreprise à mission »*.

Notre ami André COUPET rappelle dans son excellent ouvrage « Vers une entreprise progressiste » (Editions Paris-Québec Inc., 2020) que cette démarche conduit simplement à se poser la question : « A quoi sert notre entreprise ? », pour ses clients et pour le monde.

La raison d’être renoue en cela avec le FONDEMENT BIOLOGIQUE de toute organisation, tel que posé par le Pr. Claude ZARROUK dès les années 1980 : son UTILITE, avec un grand « U », en tant que contribution créatrice de valeur pour ses clients, ses collaborateurs, ses partenaires, ses actionnaires et la société. Souvenons-nous à cet égard de la loi implacable du vivant : tout acteur, végétal, animal, humain, a son utilité dans l’écosystème auquel il appartient, faute de quoi il est appelé à disparaître. D’un point de vue biologique, la question de la raison d’être ne se pose donc ni pour les individus, de l’insecte à l’homme en passant par la plante, ni pour les organisations, de la fourmilière à l’entreprise en passant par la forêt : ON EST UTILE OU ON N’EST PAS. Précisons qu’on est utile y compris à son corps défendant, au service d’exigences qui souvent nous dépassent, comme la survie de l’espèce ou l’équilibre d’un écosystème. Et que cette utilité, dans le monde humain, peut être discrète et prendre des formes très diverses: affective, sociale, tout autant que productive. Il est indispensable de le rappeler, comme l’a fait à sa manière notre regretté ami Bernard STIEGLER en développant le concept d’économie contributive.

Pour l’ENTREPRISE, dont la fonction première, en tant que collectivité humaine et organisme vivant, est l’utilité, formuler sa raison d’être, c’est donc REFONDER LE SENS DE SON EXISTENCE, en donnant forme intelligible à ce qui est déjà là et qui la dépasse finalement, elle et son objet social, que la raison d’être y soit inscrite ou pas, bien au-delà de la quête d’« un supplément d’âme » par temps de disette spirituelle.

La vraie question pour les dirigeants LEADERS DE CONFIANCE est à notre avis, par les temps de métamorphose de l’Etre au monde que traversent les humains sous le triple effet de la transformation numérique, de la transition écologique et de la nouvelle conscience sanitaire, non pas tant la rédaction et l’affichage d’une raison d’être, que celle de sa traduction en Action, plus ou moins fidèle, affirmée et créatrice de valeur au cœur du monde réel.

En effet, en affirmant sa raison d’être, l’entreprise interpelle le public. Certaines le font discrètement et on comprend pourquoi : dès lors que la firme affirme ainsi sa transcendance, le public est conduit à se demander s’il peut lui FAIRE CONFIANCE, comme à l’égard d’une religion ou d’un parti politique (on voit bien le risque pour l’entreprise, dans une époque où la vérification permanente, suivie d’un partage en temps réel via les réseaux sociaux, est devenue une pratique généralisée). Ainsi, les clients, collaborateurs ou co-traitants, mais aussi et surtout les citoyens, sont en droit de se poser la question suivante à l’égard de toute organisation qui affiche sa raison d’être: QUELLES PRATIQUES les dirigeants et leurs équipes ont-ils alors mises en place pour TRADUIRE LA RAISON D’ÊTRE DE LEUR ENTREPRISE EN ACTION TANGIBLE ? EST-CE QUE JE PEUX COMPTER sur les personnes qui la composent – dirigeants et ensemble des collaborateurs – pour faire en sorte que cette raison d’être, en tant qu’utilité créatrice de valeur, soit incarnée dans mes interactions avec toutes personnes ou équipes de cette organisation, et aussi dans leurs interactions avec le territoire (local, national, mondial) où je vis, cette Terre qu’après tout, je partage avec eux… ? Et par conséquent, qu’est-ce qui fait, dans la manière d’agir de ceux qui la portent et la vivent, que cette raison d’être aura un impact bénéfique vérifiable dans les externalités positives de l’entreprise envers la Société comme, en miroir, dans ses résultats opérationnels, humains et, in fine, économiques et financiers? Car il est permis, après tout, d’espérer qu’une entreprise qui accomplit pleinement sa raison d’être connaisse la prospérité, ayant toute sa place dans le monde.

Il faut bien reconnaître que la réponse à cette question reste opaque dans la majorité des cas. L’intention profonde et la volonté intime qui guident les initiateurs de ces démarches restent largement inaccessibles. Y accéder exige une approche au cas par cas, que seules les entreprises conscientes de leur responsabilité ECO-centrée peuvent initier par la mise œuvre d’un processus de FEEDBACK (écoute active et rétroaction) interne et externe responsable et régulier, qui est la condition de la génération de confiance. Car formuler et promulguer une raison d’être, c’est de facto revendiquer un lien de confiance actif et responsable avec les parties constituantes de son écosystème et accepter de bon cœur une certaine interdépendance, y compris dans la gouvernance.

Pour se donner toutes les chances d’engager une démarche sincère, crédible et profitable à tous, les leaders de confiance qui décident de mettre à jour la raison d’être de leur entreprise ont tout à gagner à réfléchir à la qualité du dialogue interne et externe qui permettra de la révéler, la formuler et la partager. Cette réflexion intime, puis collective, est à mener avant de se plonger dans les référentiels et principes méthodologiques qui visent à objectiver, voire quantifier, la raison d’être et les objectifs des entreprises à mission. Quelques questions simples peuvent guider cette réflexion pour l’action : Les personnes de tous niveaux qui INCARNENT, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise et dans toutes ses interactions, cette raison d’être au quotidien sont-elles RECONNUES comme principales contributrices au sein de l’entreprise ? Concernés au premier chef  par l’Utilité de l’entreprise, les clients, les citoyens et les partenaires externes sont-ils ECOUTES ET ENTENDUS sans filtre, de manière active et participante ? Diverses parties constituantes de l’écosystème sont-elles ASSOCIEES à l’élaboration de la formulation de la Raison d’Etre, de la mission de l’entreprise et des engagements qui en découlent ? Disposent-elles pleinement de la possibilité d’exprimer leur FEEDBACK FACTUEL, CRITIQUE ET CONSTRUCTIF auprès du management en cas de manquement à cette raison d’être ? Mieux, l’entreprise va-t-elle à la rencontre de ce feedback pour progresser, innover et incarner sa raison d’être de manière adaptée aux besoins profonds de la société – et non à des attentes présupposées?

Se poser ces questions et y répondre par l’interaction, permet d’enraciner la Raison d’être dans le tissu vivant de l’entreprise tout en l’éclairant par le dialogue avec les parties constituantes de son écosystème. Elle permet également d’affirmer une raison d’être originale, légitime et génératrice d’enthousiasme, car balisée par une écoute et des rétroactions véritables, et non de produire une phrase sibylline ou un pensum sans saveur censé ne fâcher personne, ce qui trahit souvent le fruit d’une rédaction « en chambre ».

En faisant en sorte que la formulation de la Raison d’être soit le résultat d’un processus vivant et ouvert de FEEDBACK avec les parties constituantes de l’écosystème interne et externe de l’entreprise, ses dirigeants ont des chances de faire de cet exercice un générateur de confiance en action.

*En France, cette démarche est encouragée par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises).

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK

Est-ce que je peux compter sur toi ?

La période de crise que nous traversons met au premier plan une ressource fondamentale pour la santé et la prospérité des personnes, des entreprises comme des sociétés : la confiance. Ce terme qui nous est cher, à Marc et moi-même, revient à de multiples reprises dans la presse et les conversations du moment. On interroge par sondage les chefs d’entreprise, pythies contemporaines, pour tester leur « confiance » dans l’avenir. On parle à tort et à travers de « crise de confiance » envers le gouvernement bien sûr, mais aussi les institutions, les médias… La confiance apparaît ainsi comme un éther en suspension, traversé de signes et de nuages plus ou moins volatiles. Or nous avons la chance de baigner au quotidien, dans nos démocraties, dans un océan de confiance passive : en tant qu’entrepreneurs, nous avons confiance dans notre banquier, notre expert-comptable, notre assureur, même s’il nous arrive de râler contre eux. En tant que particuliers, nous avons globalement confiance dans les entreprises qui ont construit nos routes, dans le constructeur auprès de qui nous avons acheté ou nous louons notre véhicule, dans les prévisions météorologiques et même dans l’administration fiscale. Nous accordons cette confiance « passive », au sens où nous ne la remettons pas en question tous les matins, à des décideurs et des producteurs que nous ne rencontrerons peut-être jamais. Pour ce qui touche de plus près à notre santé, et donc à notre expérience corporelle, nous sommes plus vigilants et attentifs, autant que possible, à connaître le producteur des aliments que nous consommons – ce qui explique le succès des « circuits courts » – et à avoir des garanties sur le médecin qui nous suit, via notre propre jugement et des recommandations.

Pourtant, cette confiance générale et fluctuante, qui rime avec le confort de nos démocraties, est-elle la confiance nécessaire et suffisante pour mener une entreprise, ses salariés et son écosystème dans la crise, pour booster son développement, pour nourrir son épanouissement humain, pour accélérer sa vitesse d’innovation, pour accroître son utilité et incarner pleinement sa raison d’être ? Certainement pas, car il existe en fait deux types de confiance: la confiance « passive », que les anglophones reconnaîtront sous le vocable « Confidence » et la confiance « active », que nos amis anglo-saxons désignent sous le nom de « Trust« . La confiance active, c’est le pari conscient et dynamique que nous faisons sur l’Autre : notre collaborateur, notre boss, notre collègue, notre client (eh oui) ou notre partenaire. Cette « confiance en action » est requise dès lors que nous nous ENGAGEONS AVEC D’AUTRES dans des initiatives, des projets, ou, comme c’est souvent le cas en ce moment, dans des actions palliatives en réponse à une crise, qui mobilisent un mélange de pragmatisme et de créativité collectifs.

C’est sur cette confiance en action que Marc et moi sommes amenés à travailler avec les leaders de confiance qui souhaitent atteindre, avec leurs équipes et partenaires, de hauts niveaux de performance dans tous les compartiments du jeu. La question qui reflète le mieux la culture de la confiance en action est celle-ci : « EST-CE QUE JE PEUX COMPTER SUR TOI ? ». Toute la dynamique d’évolution vers une culture de « Totale Confiance » repose sur la mise en œuvre d’une fluidité et d’une qualité exceptionnelles des interactions au sein d’un écosystème (entreprise, territoire…), telles que chaque membre puisse répondre positivement et en connaissance de cause à cette question. Naturellement, cette confiance en action, dont nous verrons à l’occasion des articles à venir qu’elle est d’essence biologique, nourrit la confiance générale évoquée plus haut. Car chaque collaborateur, au-delà de la confiance de base qu’il accorde à son manager, se posera la question « Est-ce que je peux compter sur lui? » en cas de défi innovant qui requiert un soutien particulier ; chaque patient, au-delà de la confiance de base qu’il accorde à son médecin, se posera la question : « Est-ce que je peux compter sur lui? » s’il tombe gravement malade ; chaque citoyen sera en droit de poser la question au gouvernement et en particulier au Président de la République, qui a pris le leadership de la gestion de la crise sanitaire comme Napoléon a saisi le drapeau au Pont d’Arcole : « Est-ce que je peux compter sur vous ? ». On comprend que cette question appelle réponse en mots et en actes et que, plus la distance est grande entre les citoyens, les élus et les représentants locaux de ces élus, plus le feedback, moteur de la confiance en action, est difficile, voire inexistant, et donc plus la réserve de confiance s’amenuise. Les entreprises à taille humaine, TPEs, PMEs, ETIs, mais aussi grandes entreprises en réseaux décentralisés, ont beaucoup plus de chances que les institutions et entreprises verticales à X niveaux hiérarchiques de générer et faire circuler la confiance, sève du développement économique et humain, en leur sein, mais aussi dans leur écosystème territorial de proximité (partenaires, fournisseurs, milieu associatif, élus…). Je vois dans cette confiance en action de proximité une des sources de l’innovation née des territoires, chère à l’économiste Michel GODET, créateur du Prix des Bonnes Nouvelles des Territoires.

« Est-ce que je peux compter sur toi ? ». C’est le premier des deux leitmotivs (il y en a un autre, qui apparaîtra plus tard dans ce blog) qui fondent la confiance en action dans les relations humaines, dans les entreprises et dans toute organisation ou institution.

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK