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Totale confiance: confiance systémique, confiance stratégique

Confiance systémique

Est-ce un hasard si les zones à haute intensité d’innovation et de production de richesse sont aussi des zones de confiance systémique entre acteurs économiques, sociaux, politiques et culturels[1] ? Le nord de la Californie, Israël, le sud de l’Allemagne, la Finlande ou l’Estonie, pour citer les plus célèbres, sont des zones où les relations sont nourries de la discipline du feedback dans les interactions verticales (dialogue hiérarchique franc et direct), horizontales (coopérations conviviales, pragmatiques et créatives, marquées par des critiques réciproques sans concession) et latérales (haute intensité de co-innovation en toute fluidité avec les clients et les partenaires, également marquées par des critiques réciproques sans concession).

Innovation et performance globale de haut niveau exigent le développement de la confiance comme règle de vie à l’échelle de l’entreprise étendue à son écosystème, de telle manière que chaque interaction interne ou externe soit productrice de confiance, ce qui permet d’atteindre un niveau de confiance systémique.

Impact de la confiance systémique sur la confiance en soi et le développement personnel

La question de la « confiance en soi » est régulièrement posée, en raison du caractère déstabilisant, pour les individus, de la période de métamorphose que traversent les entreprises aujourd’hui. Ce phénomène concerne tous les membres de l’écosystème Entreprise, du patron au salarié en passant par les sous-traitants ou les travailleurs indépendants avec qui elle coopère. Le degré initial de confiance en soi des individus perd de son importance relative dans les entreprises écocentrées, cette confiance étant nourrie par la pratique systématique d’un dialogue équilibré, bienveillant et exigeant, et par l’action confiante qui en résulte[2]. Nous observons ainsi que la discipline du feedback constructif à l’échelle de toute l’entreprise entraîne de facto une augmentation du degré de confiance en soi de ses membres, portés par une vague collective de confiance en action.

Autrement dit, la confiance nourrit la confiance : l’action même de produire de la confiance dans chaque interaction nourrit la confiance des dirigeants, des managers et des collaborateurs, dans leurs interactions verticales (hiérarchiques) et horizontales (entre collègues).

Confiance stratégique

La confiance en action est indissociable d’attentes de comportements et de buts à atteindre. Elle est la réponse positive à une question que toute personne en situation d’agir, d’entreprendre ou d’innover pose à ses collaborateurs, partenaires ou clients, pour leur faire totalement confiance : « Est-ce que je peux compter sur toi ? ».

Cette question se décline en des sous-questions du type : « Puis-je compter sur chacune et chacun des membres de mon équipe de direction pour me donner un feedback franc, direct et précis sur la manière dont je réponds à ses besoins ? » ; « Puis-je compter sur ce partenaire pour mener un projet d’investissement commun ? » ; « Puis-je compter sur ce collègue pour apporter sa contribution dans le délai imparti par notre client commun ? » ; « Puis-je compter sur chaque collaborateur pour qu’il me dise clairement ce que j’ai oublié de prendre en compte dans ma décision ? ».

Naturellement, la question « Est-ce que je peux compter sur toi ? » a son pendant collectif, qui a trait à la dimension systémique de la confiance : « Est-ce que nous pouvons compter les uns sur les autres ? ».

Une entreprise où la réponse à ces questions (qu’elles s’adressent à l’individu ou au collectif) est systématiquement positive (à tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les secteurs) est généralement une entreprise en bonne santé, créatrice de valeur pour son écosystème comme pour elle-même.

Comment atteindre un tel résultat ? Un basculement culturel vers l’entreprise écocentrée est nécessaire, sauf si l’entreprise a été conçue dans cette culture[3]. C’est donc en premier lieu aux dirigeants qu’il revient d’agir, d’autant plus qu’il est courant que des blocages du feedback perturbent les dynamiques de décision stratégique situées au-delà du champ de l’intelligence artificielle et des méthodes « agiles », généralement centrées sur les niveaux opérationnels. Ce basculement prend sa source dans le leadership exemplaire des dirigeants, au prix d’une lutte constante et sans merci contre les blocages du feedback, appliquée d’abord à leurs propres interactions. Après avoir été levés et éliminés de manière définitive dans les instances dirigeantes, les obstacles à la fluidité et à la fécondité de la pensée humaine méritent d’être éliminés dans toutes les strates de l’entreprise étendue à son écosystème.

La production de confiance dans chaque interaction constitue alors une force qui pousse toute l’entreprise vers l’avant, en tension entre sa raison d’être et ses finalités, telles que : être utile à ses clients – aux clients de ses clients en B to B et aux clients citoyens lorsqu’elle assure des missions pour la collectivité -, libérer un flux constant d’améliorations et d’innovations, atteindre ses objectifs (financiers, opérationnels, de développement humain), renforcer son image.

Au-delà d’être systémique, la confiance en action revêt donc également un caractère stratégique.


[1] Nous regroupons les scientifiques, les artistes et les professions intellectuelles telles qu’architectes ou designers dans les acteurs culturels.

[2] Charles PEPIN apporte un éclairage intéressant sur ces points aux chapitres 6 et 7 de son essai sur la confiance en soi – Charles PEPIN : « La confiance en soi », Editions Allary, 2018.

[3] En ce cas, le défi non moins ambitieux est de préserver ce précieux capital de régénération infinie.

Christian MAYEUR

© Mayeur Zarrouk

L’Arbre de la Culture de Confiance

Inspiré d’une métaphore biologique, l’Arbre de la Culture est une clé de compréhension courante des leviers du changement au sein des organisations. Feuillage, tronc et racines sont interdépendants. Mais comment faire de cette interdépendance un facteur de haute performance dans les organisations humaines qui, à la différence des arbres, ont une tendance constante à l’éparpillement des énergies ? C’est ici que la confiance en action joue un rôle déterminant, dont le leadership responsable des dirigeants est la source intarissable.

  1. Si les racines constituent la partie invisible, ce sont elles qui nourrissent de sève primaire le tronc et le feuillage, garantissant leur vitalité et leur régénération : ce sont les perceptions, les croyances et les valeurs, fondées sur la raison d’être de l’entreprise, sur l’intention partagée de ses fondateurs et sur l’expérience accumulée par l’ensemble de ses collaborateurs, à la croisée entre le métier et l’histoire des relations avec l’extérieur. Nous savons que les racines d’un arbre constituent un réseau capillaire au moins aussi étendu et ramifié que son feuillage. Il en va de même pour les racines de l’entreprise, qui constituent sa matrice culturelle. Il est important que ces racines constituent un réseau abondant d’histoires vécues, où les tous les membres de l’entreprise puisent leur énergie et leur désir d’accomplissement. Dans cette matrice culturelle de l’entreprise sont non seulement inscrits sa raison d’être et sa mission originelles, mais aussi le code d’orientation de sa responsabilité: responsabilité « égo-centrée 3P » comme Produit, Process, Périmètre ou bien responsabilité « éco-centrée 6C » comme Client, Collègue, Collaborateur, Co-traitant, Citoyen, Collectivité. Alors que les changements de paradigmes de la révolution numérique et écologique en cours s’accélèrent du fait d’une crise sanitaire aux impacts incommensurables et exigent, pour s’adapter à cette métamorphose, de conduire une évolution culturelle, le travail des dirigeants se doit donc d’être radical, c’est à dire, étymologiquement, conduit à partir des racines. Explorer l’histoire de l’entreprise pour mettre à jour son utilité première, réviser les croyances, réorienter les valeurs sont des actions qui favorisent la régénération. Ce travail souterrain ne saurait s’éteindre. Notons que dans un monde complexe où tout se mêle et se relie, les engagements personnels, professionnels et publics, la concurrence et la compétition – la fameuse « coopétition » bien connue en normalisation internationale -, l’activité racinaire des entreprises évolue toujours plus vers le rhizome et sa puissance de propagation impressionnante.

2. Le tronc s’élance vers le feuillage, qu’il sous-tend, dont il réunit toutes les branches et qu’il relie aux racines. Dans l’entreprise, c’est le corps des attitudes partagées qui fait sa force et sa personnalité, comme par exemple une empathie inimitable envers les clients, les co-traitants ou les partenaires, ou bien la reconnaissance en toutes circonstances de la valeur d’autrui en tant que personne, quels que soient son statut, sa formation, son niveau dans l’organisation – une manière 100 % responsable de compenser le déséquilibre induit par la différence hiérarchique dans la relation managers / collaborateurs – , ou encore le choix de la remise en question systématique et sans jugement après chaque action, chaque interaction, chaque projet.

3. Le feuillage correspond à la partie la plus visible de la culture: ce sont les actions, les comportements, les interactions, qui nourrissent l’entreprise comme la lumière nourrit l’arbre, générant sa sève élaborée, celle qui descend de l’extérieur vers l’intérieur, par photosynthèse.  L’entreprise qui joue la carte de la Totale Confiance a compris à quel point l’écoute active des parties constituantes de son écosystème, la pratique du feedback et du débriefing responsables irriguent depuis l’extérieur la structure vivante interne de l’entreprise et participent à sa régénération. De ce fait le feedback et le débriefing responsables sont les traductions au niveau du feuillage de la conception de responsabilité éco-centrée située dans les racines et de l’attitude de remise en question systématique portée par le tronc. Je n’ai pas trouvé mieux pour traduire ce mouvement vital que l’expression picarde de mon vieil ami Jean-François ZOBRIST: « Faire entrer le dehors dedans ».

Cependant, la seule métaphore de l’arbre ne suffit pas en soi à traduire le processus de vitalité et de régénération des entreprises. En effet, si toutes les parties de l’arbre sont physiquement et chimiquement reliées, les organisations humaines, sous l’effet de la distance qu’instaurent le langage, les statuts, le découpage abstrait du temps et de l’espace, sont constamment sujettes au risque de rupture, de contradiction et de blocage de la circulation du sens. Combien de directions se coupent de la lumière extérieure et fonctionnent avec des présupposés, par écrans et tableaux Excel interposés ? Combien d’entités opérationnelles « se débrouillent », faisant le tri dans des demandes et injonctions discontinues, voire contradictoires venues d’émetteurs multiples cachés derrière des sigles plus ou moins compréhensibles ?

Dans un tel contexte, tout comme traiter les feuilles de l’arbre ne suffit pas à garantir son développement, chercher à adapter les entreprises aux évolutions de leurs écosystèmes à travers une simple action sur les comportements est une approche pavlovienne dont les résultats sont pauvres, tant apprivoiser l’être humain conduit à réduire ses capacités d’ouverture et d’initiative. Pour encourager les attitudes ouvertes aux adaptations (amélioration et innovation) et favoriser une évolution naturelle des comportements, mieux vaut permettre à chaque personne de l’entreprise d’élargir et de nourrir sa perception dans les interactions confiantes avec son environnement interne et externe, à l’image du développement capillaire des racines de l’arbre qui permet au tronc de se renforcer et au feuillage de s’épanouir. Riche de ces interactions, cette personne saura quel comportement adopter en diverses circonstances, en accordant ses valeurs à celles de l’organisation, en tirant parti de son intelligence et en apportant le meilleur de son énergie. 

D’où l’importance du principe de circulation du sens, des racines profondes du temps vers la surface des comportements et des interactions dans les espaces réels et virtuels vers l’ensemble des capillarités internes. Ce principe de circulation du sens qui fait liaison entre la culture, les attitudes et les comportements, c’est la confiance. La confiance – du latin « cum-fidere », avoir foi ensemble – est un pari constant sur l’autre et SUR l’action à venir qui mobilise ensemble les valeurs de responsabilité éco-centrée et d’entrepreneuriat, leur donne consistance dans des attitudes, au premier rang desquelles figurent l’empathie, la remise en question et l’innovation. La confiance favorise les comportements co-créateurs de valeur avec les clients et partenaires à travers l’écoute active, le partage avec toutes les fonctions de l’entreprise (stratégie, finance et investissement, recherche et développement, production, digital, marketing et commerce…), la rétroaction, l’apprentissage et l’innovation permanents.

En permettant une évolution constante des perceptions de l’entreprise vis-à-vis de son écosystème, la CONFIANCE EN ACTION est essentielle pour faire évoluer avec leur temps les valeurs et croyances qui soutiennent la raison d’être et la structure de sens de l’entreprise. Avoir confiance ne suffit pas, il faut se donner les moyens de FAIRE confiance à autrui dans l’action quotidienne, pour adapter collectivement les comportements en fonction des nouveaux besoins et désirs des clients, des collègues, des collaborateurs et tirer parti, sans trahir l’humain, des techniques et technologies à disposition.  

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK