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Confiance en action et accomplissement de la Raison d’être

Une tendance récente conduit les entreprises ou les institutions à afficher leur « Raison d’être ». Ce mouvement participe, d’une part, à combler le vide de sens perçu par les habitants des sociétés démocratiques contemporaines – clients, consommateurs, citoyens -, d’autre part, à inciter les entreprises à équilibrer leurs objectifs de performance entre les dimensions financière, humaine, sociétale et environnementale au service d’une contribution qui les transcende. La poursuite de la raison d’être peut conduire les organisations à redéfinir leur objet social et à accéder au statut d’« Entreprise à mission »*.

Notre ami André COUPET rappelle dans son excellent ouvrage « Vers une entreprise progressiste » (Editions Paris-Québec Inc., 2020) que cette démarche conduit simplement à se poser la question : « A quoi sert notre entreprise ? », pour ses clients et pour le monde.

La raison d’être renoue en cela avec le FONDEMENT BIOLOGIQUE de toute organisation, tel que posé par le Pr. Claude ZARROUK dès les années 1980 : son UTILITE, avec un grand « U », en tant que contribution créatrice de valeur pour ses clients, ses collaborateurs, ses partenaires, ses actionnaires et la société. Souvenons-nous à cet égard de la loi implacable du vivant : tout acteur, végétal, animal, humain, a son utilité dans l’écosystème auquel il appartient, faute de quoi il est appelé à disparaître. D’un point de vue biologique, la question de la raison d’être ne se pose donc ni pour les individus, de l’insecte à l’homme en passant par la plante, ni pour les organisations, de la fourmilière à l’entreprise en passant par la forêt : ON EST UTILE OU ON N’EST PAS. Précisons qu’on est utile y compris à son corps défendant, au service d’exigences qui souvent nous dépassent, comme la survie de l’espèce ou l’équilibre d’un écosystème. Et que cette utilité, dans le monde humain, peut être discrète et prendre des formes très diverses: affective, sociale, tout autant que productive. Il est indispensable de le rappeler, comme l’a fait à sa manière notre regretté ami Bernard STIEGLER en développant le concept d’économie contributive.

Pour l’ENTREPRISE, dont la fonction première, en tant que collectivité humaine et organisme vivant, est l’utilité, formuler sa raison d’être, c’est donc REFONDER LE SENS DE SON EXISTENCE, en donnant forme intelligible à ce qui est déjà là et qui la dépasse finalement, elle et son objet social, que la raison d’être y soit inscrite ou pas, bien au-delà de la quête d’« un supplément d’âme » par temps de disette spirituelle.

La vraie question pour les dirigeants LEADERS DE CONFIANCE est à notre avis, par les temps de métamorphose de l’Etre au monde que traversent les humains sous le triple effet de la transformation numérique, de la transition écologique et de la nouvelle conscience sanitaire, non pas tant la rédaction et l’affichage d’une raison d’être, que celle de sa traduction en Action, plus ou moins fidèle, affirmée et créatrice de valeur au cœur du monde réel.

En effet, en affirmant sa raison d’être, l’entreprise interpelle le public. Certaines le font discrètement et on comprend pourquoi : dès lors que la firme affirme ainsi sa transcendance, le public est conduit à se demander s’il peut lui FAIRE CONFIANCE, comme à l’égard d’une religion ou d’un parti politique (on voit bien le risque pour l’entreprise, dans une époque où la vérification permanente, suivie d’un partage en temps réel via les réseaux sociaux, est devenue une pratique généralisée). Ainsi, les clients, collaborateurs ou co-traitants, mais aussi et surtout les citoyens, sont en droit de se poser la question suivante à l’égard de toute organisation qui affiche sa raison d’être: QUELLES PRATIQUES les dirigeants et leurs équipes ont-ils alors mises en place pour TRADUIRE LA RAISON D’ÊTRE DE LEUR ENTREPRISE EN ACTION TANGIBLE ? EST-CE QUE JE PEUX COMPTER sur les personnes qui la composent – dirigeants et ensemble des collaborateurs – pour faire en sorte que cette raison d’être, en tant qu’utilité créatrice de valeur, soit incarnée dans mes interactions avec toutes personnes ou équipes de cette organisation, et aussi dans leurs interactions avec le territoire (local, national, mondial) où je vis, cette Terre qu’après tout, je partage avec eux… ? Et par conséquent, qu’est-ce qui fait, dans la manière d’agir de ceux qui la portent et la vivent, que cette raison d’être aura un impact bénéfique vérifiable dans les externalités positives de l’entreprise envers la Société comme, en miroir, dans ses résultats opérationnels, humains et, in fine, économiques et financiers? Car il est permis, après tout, d’espérer qu’une entreprise qui accomplit pleinement sa raison d’être connaisse la prospérité, ayant toute sa place dans le monde.

Il faut bien reconnaître que la réponse à cette question reste opaque dans la majorité des cas. L’intention profonde et la volonté intime qui guident les initiateurs de ces démarches restent largement inaccessibles. Y accéder exige une approche au cas par cas, que seules les entreprises conscientes de leur responsabilité ECO-centrée peuvent initier par la mise œuvre d’un processus de FEEDBACK (écoute active et rétroaction) interne et externe responsable et régulier, qui est la condition de la génération de confiance. Car formuler et promulguer une raison d’être, c’est de facto revendiquer un lien de confiance actif et responsable avec les parties constituantes de son écosystème et accepter de bon cœur une certaine interdépendance, y compris dans la gouvernance.

Pour se donner toutes les chances d’engager une démarche sincère, crédible et profitable à tous, les leaders de confiance qui décident de mettre à jour la raison d’être de leur entreprise ont tout à gagner à réfléchir à la qualité du dialogue interne et externe qui permettra de la révéler, la formuler et la partager. Cette réflexion intime, puis collective, est à mener avant de se plonger dans les référentiels et principes méthodologiques qui visent à objectiver, voire quantifier, la raison d’être et les objectifs des entreprises à mission. Quelques questions simples peuvent guider cette réflexion pour l’action : Les personnes de tous niveaux qui INCARNENT, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise et dans toutes ses interactions, cette raison d’être au quotidien sont-elles RECONNUES comme principales contributrices au sein de l’entreprise ? Concernés au premier chef  par l’Utilité de l’entreprise, les clients, les citoyens et les partenaires externes sont-ils ECOUTES ET ENTENDUS sans filtre, de manière active et participante ? Diverses parties constituantes de l’écosystème sont-elles ASSOCIEES à l’élaboration de la formulation de la Raison d’Etre, de la mission de l’entreprise et des engagements qui en découlent ? Disposent-elles pleinement de la possibilité d’exprimer leur FEEDBACK FACTUEL, CRITIQUE ET CONSTRUCTIF auprès du management en cas de manquement à cette raison d’être ? Mieux, l’entreprise va-t-elle à la rencontre de ce feedback pour progresser, innover et incarner sa raison d’être de manière adaptée aux besoins profonds de la société – et non à des attentes présupposées?

Se poser ces questions et y répondre par l’interaction, permet d’enraciner la Raison d’être dans le tissu vivant de l’entreprise tout en l’éclairant par le dialogue avec les parties constituantes de son écosystème. Elle permet également d’affirmer une raison d’être originale, légitime et génératrice d’enthousiasme, car balisée par une écoute et des rétroactions véritables, et non de produire une phrase sibylline ou un pensum sans saveur censé ne fâcher personne, ce qui trahit souvent le fruit d’une rédaction « en chambre ».

En faisant en sorte que la formulation de la Raison d’être soit le résultat d’un processus vivant et ouvert de FEEDBACK avec les parties constituantes de l’écosystème interne et externe de l’entreprise, ses dirigeants ont des chances de faire de cet exercice un générateur de confiance en action.

*En France, cette démarche est encouragée par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises).

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK

Est-ce que je peux compter sur toi ?

La période de crise que nous traversons met au premier plan une ressource fondamentale pour la santé et la prospérité des personnes, des entreprises comme des sociétés : la confiance. Ce terme qui nous est cher, à Marc et moi-même, revient à de multiples reprises dans la presse et les conversations du moment. On interroge par sondage les chefs d’entreprise, pythies contemporaines, pour tester leur « confiance » dans l’avenir. On parle à tort et à travers de « crise de confiance » envers le gouvernement bien sûr, mais aussi les institutions, les médias… La confiance apparaît ainsi comme un éther en suspension, traversé de signes et de nuages plus ou moins volatiles. Or nous avons la chance de baigner au quotidien, dans nos démocraties, dans un océan de confiance passive : en tant qu’entrepreneurs, nous avons confiance dans notre banquier, notre expert-comptable, notre assureur, même s’il nous arrive de râler contre eux. En tant que particuliers, nous avons globalement confiance dans les entreprises qui ont construit nos routes, dans le constructeur auprès de qui nous avons acheté ou nous louons notre véhicule, dans les prévisions météorologiques et même dans l’administration fiscale. Nous accordons cette confiance « passive », au sens où nous ne la remettons pas en question tous les matins, à des décideurs et des producteurs que nous ne rencontrerons peut-être jamais. Pour ce qui touche de plus près à notre santé, et donc à notre expérience corporelle, nous sommes plus vigilants et attentifs, autant que possible, à connaître le producteur des aliments que nous consommons – ce qui explique le succès des « circuits courts » – et à avoir des garanties sur le médecin qui nous suit, via notre propre jugement et des recommandations.

Pourtant, cette confiance générale et fluctuante, qui rime avec le confort de nos démocraties, est-elle la confiance nécessaire et suffisante pour mener une entreprise, ses salariés et son écosystème dans la crise, pour booster son développement, pour nourrir son épanouissement humain, pour accélérer sa vitesse d’innovation, pour accroître son utilité et incarner pleinement sa raison d’être ? Certainement pas, car il existe en fait deux types de confiance: la confiance « passive », que les anglophones reconnaîtront sous le vocable « Confidence » et la confiance « active », que nos amis anglo-saxons désignent sous le nom de « Trust« . La confiance active, c’est le pari conscient et dynamique que nous faisons sur l’Autre : notre collaborateur, notre boss, notre collègue, notre client (eh oui) ou notre partenaire. Cette « confiance en action » est requise dès lors que nous nous ENGAGEONS AVEC D’AUTRES dans des initiatives, des projets, ou, comme c’est souvent le cas en ce moment, dans des actions palliatives en réponse à une crise, qui mobilisent un mélange de pragmatisme et de créativité collectifs.

C’est sur cette confiance en action que Marc et moi sommes amenés à travailler avec les leaders de confiance qui souhaitent atteindre, avec leurs équipes et partenaires, de hauts niveaux de performance dans tous les compartiments du jeu. La question qui reflète le mieux la culture de la confiance en action est celle-ci : « EST-CE QUE JE PEUX COMPTER SUR TOI ? ». Toute la dynamique d’évolution vers une culture de « Totale Confiance » repose sur la mise en œuvre d’une fluidité et d’une qualité exceptionnelles des interactions au sein d’un écosystème (entreprise, territoire…), telles que chaque membre puisse répondre positivement et en connaissance de cause à cette question. Naturellement, cette confiance en action, dont nous verrons à l’occasion des articles à venir qu’elle est d’essence biologique, nourrit la confiance générale évoquée plus haut. Car chaque collaborateur, au-delà de la confiance de base qu’il accorde à son manager, se posera la question « Est-ce que je peux compter sur lui? » en cas de défi innovant qui requiert un soutien particulier ; chaque patient, au-delà de la confiance de base qu’il accorde à son médecin, se posera la question : « Est-ce que je peux compter sur lui? » s’il tombe gravement malade ; chaque citoyen sera en droit de poser la question au gouvernement et en particulier au Président de la République, qui a pris le leadership de la gestion de la crise sanitaire comme Napoléon a saisi le drapeau au Pont d’Arcole : « Est-ce que je peux compter sur vous ? ». On comprend que cette question appelle réponse en mots et en actes et que, plus la distance est grande entre les citoyens, les élus et les représentants locaux de ces élus, plus le feedback, moteur de la confiance en action, est difficile, voire inexistant, et donc plus la réserve de confiance s’amenuise. Les entreprises à taille humaine, TPEs, PMEs, ETIs, mais aussi grandes entreprises en réseaux décentralisés, ont beaucoup plus de chances que les institutions et entreprises verticales à X niveaux hiérarchiques de générer et faire circuler la confiance, sève du développement économique et humain, en leur sein, mais aussi dans leur écosystème territorial de proximité (partenaires, fournisseurs, milieu associatif, élus…). Je vois dans cette confiance en action de proximité une des sources de l’innovation née des territoires, chère à l’économiste Michel GODET, créateur du Prix des Bonnes Nouvelles des Territoires.

« Est-ce que je peux compter sur toi ? ». C’est le premier des deux leitmotivs (il y en a un autre, qui apparaîtra plus tard dans ce blog) qui fondent la confiance en action dans les relations humaines, dans les entreprises et dans toute organisation ou institution.

Christian MAYEUR – © MAYEUR ZARROUK