Retour sur la table ronde « La Raison d’être, modèle de création de
valeur » à laquelle j’ai participé mardi 30 novembre 2021* aux côtés de
Virginie Malnoy (Harmonie Mutuelle), Nicolas Desse (Groupama), Pascal Lobry
(Soitec) et sous l’animation de Jennifer Rollet de Coninck (Racine Carrée
consulting), lors de la 10ème Journée Nationale des Actifs Immatériels (#JNAI) à l’INPI.
Jennifer Rollet de Coninck : Diriez-vous qu’un travail profond autour de la raison d’être permet de toucher la substantifique moelle de l’immatériel des entreprises ?
Christian Mayeur : « Trois catégories d’actifs sont généralement regroupées sous le capital immatériel : le capital structurel, le capital humain et le capital relationnel. Commençons par LE CAPITAL STRUCTUREL, et notamment la gouvernance, les rituels, la communication interne et l’organisation. En faisant de la raison d’être la clé de voûte de la mission et en élargissant de facto la contribution de l’entreprise à un champ bien plus large que le profit des actionnaires et le paiement de l’impôt, la loi PACTE vise à mettre les dirigeants qui créent de la valeur par une stratégie responsable à l’abri des sanctions d’actionnaires motivés par le seul profit. Ces dirigeants responsables sont ceux qui REGENERENT l’entreprise par une création de richesse qui ressort de ce que nous appelons dans notre jargon l’évaluation de la performance extra-financière, la « deuxième jambe » chère à Patrick de Cambourg**, par différence avec les résultats financiers, qui sont la « première jambe »). Dans les entreprises mutualistes, on attend des dirigeants qu’ils portent haut cette contribution extra-financière en premier lieu. De fait, cette contribution est inscrite dans les statuts et déjà très large, ce qui ne rend finalement que plus méritoire le travail accompli par #GROUPAMA et #HARMONIEMUTUELLE, tel que viennent de l’évoquer Nicolas Desse et Virginie Malnoy pour régénérer le sens partagé de cette contribution. Il est évident qu’un travail aussi profond conduit à ce que j’appelle une transformation BIOculturelle de l’entreprise, qui touche l’ensemble des interactions qui la font vivre. Alors oui, pour reprendre votre expression, avec des démarches aussi approfondies, on touche bel et bien la « substantifique moelle » de l’entreprise, son capital structurel, immatériel de toute évidence et pourtant tellement palpable. Un autre exemple de pratique d’excellence dont je voudrais témoigner est celui d’ #AQUITANIS, organisme d’habitat social de la Métropole de Bordeaux, QUI A ASSOCIE PAS MOINS DE 3200 LOCATAIRES A L’ELABORATION DE SA RAISON D’ETRE. Voilà une mutation de la gouvernance dans une dynamique d’entreprise élargie à l’ensemble de ses parties prenantes! A l’ère de l’économie liquide, de l’économie fluide, de l’économie des interactions, le travail sur LA RAISON D’ETRE MET DONC EN MOUVEMENT LA STRUCTURE DE L’ORGANISATION DANS SON ACCEPTION DYNAMIQUE. En mouvement vers quoi ? VERS LE SENS MEME DE SON EXISTENCE. Et QUI porte le sens, sinon LES FEMMES ET LES HOMMES QUI LA COMPOSENT ?
Le travail sur la Raison d’être enrichit donc tout autant LE CAPITAL HUMAIN, en revisitant le mythe fondateur, les valeurs et les croyances, en alignant la compétence stratégique sur la mission, en créant DE NOUVEAUX LIENS ENTRE PASSE ET FUTUR, en plaçant haut le niveau de compétence non seulement technique, mais de SAVOIR-ETRE, puisque nous parlons de raison D’ETRE. La raison d’être stimule L’ESPRIT D’ENTREPRISE, UN ESPRIT HUMAIN, CAR DANS L’ETRE IL N’EST QUESTION QUE D’HUMAIN, la raison d’être touche à UN NIVEAU D’ESPRIT ET DE DESIR HUMAIN, UN NIVEAU DE DESSEIN ET DE DESTIN QUI DEPASSE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE pour mieux en tirer parti.
Last but not least, la Raison d’être nourrit, sollicite et enrichit également LE CAPITAL RELATIONNEL, « tout ce qui relie l’entreprise à son environnement interne et externe ». Bien évidemment, chaque entreprise est unique, toute personne qui a coopéré avec des entreprises concurrentes du même secteur, dont les produits varient parfois peu, a appris définitivement que chaque entreprise est unique, différente, par sa culture, sa perception du monde, son histoire, son alchimie propre et que cela tient avant tout à des dimensions immatérielles. L’entreprise, c’est une IDENTITE. Mais attention au risque de fermeture. Je pense que chacun ici est convaincu que la première maladie mortelle des entreprises, a fortiori à l’èrede l’économie ouverte, hyperconnectée, c’est une maladie auto-immune nommée « arrogance », typique des identités auto-centrées. Or, L’ENTREPRISE VIVANTE, c’est aussi et tout autant UNE ALTERITE, c’est-à-dire une ouverture à l’autre : client, partenaire, citoyen et aussi à l’autre à soi-même : collaborateur vu en tant que salarié avec ses droits ou DIRIGEANT DANS SA PERSONNE, faite de raison et d’émotion, en miroir de ses fonctions. La raison d’être a le mérite d’introduire une mise en tension de l’entreprise vers l’extérieur, elle exige de SE POSER DES QUESTIONS, sur cette fameuse contribution dans le monde, un monde de diversité. J’apprécie beaucoup à cet égard ce que partage avec nous Pascal Lobry, sur l’importance pour SOITEC, dont l’activité a un impact gigantesque à l’échelle planétaire, de se poser et reposer la question de la raison d’être de l’entreprise et de sa responsabilité. Par le questionnement salutaire sur sa contribution au monde et la responsabilité qui en découle, la raison d’être introduit la notion de PARI, PARI SUR L’AUTRE ET LE FUTUR, QUE L’ON PEUT RESUMER EN UN MOT : LA CONFIANCE. Les débats sur le fait que la raison d’être doit être formulée entre dirigeants, en cercle restreint, ou alors avec des contributions d’un nombre large de collaborateurs, ou encore en associant les clients et les parties prenantes témoignent d’ouvertures plus ou moins grandes des entreprises à leurs écosystèmes et donc de capacités vitales plus ou moins puissantes. Associer les salariés, les clients, les parties prenantes à l’énonciation de la raison d’être, c’est bien sûr un pari, un acte de foi, un acte aussi de vulnérabilité, et donc c’est de la CONFIANCE EN ACTION, c’est un acte de confiance de l’entreprise ECO-centrée, je dirai même qu’en exposant sa raison d’être à ses parties prenantes internes et externes et en les associant à son élaboration, l’entreprise touche au SUMMUM DE LA CONFIANCE quand il s’agit du sens même, de la raison d’exister de l’organisation. Mais équilibrer l’identité et l’altérité, l’affirmation et l’ouverture, qu’est-ce donc sinon LA LOI FONDAMENTALE DU VIVANT, LE PRINCIPE DE LA RESPIRATION, LA CONDITION DE L’ADAPTATION PERMANENTE ET MAITRISEE DE L’ENTREPRISE AU MONDE QUI VIENT ? »
Jennifer Rollet de Coninck : « La raison d’être est-elle un sujet qui concerne tout type d’entreprise, voire tout type d’organisation ? En quoi passer à côté de la raison d’être
pourrait-il être nuisible à une entreprise dans sa dynamique de création de valeur ? »
Christian Mayeur : « A partir du moment où l’on accepte l’idée, de plus en plus difficile à contester, que l’entreprise et toute organisation humaine est immergée dans le monde en forte interdépendance, cette tension externe, cette transcendance – voilà, j’ai employé le mot – est finalement ce qui la sauve, qui fédère son unicité, nourrit son AUTHENTICITE et génère UN NIVEAU DE CONFIANCE ELEVE, actif immatériel important s’il en est, bien au-delà des transactions éphémères. Passer à côté de la raison d’être, c’est se priver du « pourquoi ? » Dans un moment où cette question du sens habite tous les esprits et où une part croissante des personnes des générations qui entreprennent le monde aujourd’hui ou qui entrent sur le marché du travail, n’hésitent pas à formuler leur quête de sens et de responsabilité, sociétale
autant qu’environnementale, à en faire même une exigence en tant que candidat à
un emploi, en tant que collaborateur, en tant qu’innovateur, en tant que consommateur et en tant que citoyen, – ce qui me paraît nouveau, ce n’est pas cette quête de sens, c’est d’en faire une exigence – passer à côté de la raison d’être, c’est tout simplement se tirer une balle dans le pied. »
*Au double titre de ma participation au groupe de travail de l’Observatoire de l’Immatériel sur l’impact de la raison d’être sur les modèles d’affaires et la performance et en tant que membre du groupe de travail AFNOR qui finalise en ce moment même la rédaction d’un guide pratique pour guider les entreprises dans l’atteinte de la qualité de sociétés à mission, mais aussi les Organismes tiers indépendants (OTI) dans l’évaluation de cette qualité, à paraître bientôt.
**Patrick de Cambourg est le Président de l’Autorité des Nomes Comptables. Membre éminent de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), il participe activement aux travaux qui visent à définir de nouvelles normes comptables qui valorisent la création de valeur extra-financière. Il a participé à la table ronde « Directive européenne sur l’extra-financier, création de la Value reporting foundation : quelle normalisation ? » de cette 10ème JNAI.
Christian Mayeur
© Mayeur Zarrouk Consulting